Après le succès mondial du livre de Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres, paru en 2015, c’est au tour d’Emmanuelle Nobécourt de se pencher sur le sujet. Nous avons eu la chance de la rencontrer lors du tournage de son documentaire scientifique, Le génie des arbres, dont Ecosia est partenaire. Nous avons souhaité en savoir plus sur ce que le tournage avait changé pour elle, ce qu’elle y avait appris des arbres et les idées qu’elle souhaite partager avec le public.
Ecosia : Quel est le contexte général du film ?
Emmanuelle Nobécourt : Le film part du constat que nous avons longtemps pensé que nous pourrions trouver ailleurs dans le cosmos, ce qui était nécessaire à la survie de l’espèce humaine. Or, nous savons aujourd’hui que c’est impossible. Nous devons faire avec ce que nous avons sur Terre. Les arbres sont là depuis 400 millions d’années et ils ont beaucoup de choses à nous apprendre en ce qui concerne l’organisation du vivant.
Quel est l’angle que vous avez utilisé pour réaliser ce documentaire ?
Tout d’abord, j’ai voulu présenter tout ce que les arbres peuvent nous enseigner : leur fonctionnement, leurs capacités d’adaptation incroyables même lorsqu’ils sont dans des conditions extrêmes, leur façon de se nourrir avec ce qu’ils trouvent sous leurs racines, leur manière de vivre sans produire de déchets... Puis, j’ai aussi souhaité alarmer : l’arbre est en danger et nous le sommes aussi. Nous devons non seulement nous inspirer de cet allié, mais aussi changer notre comportement face à ces êtres silencieux qui maintiennent la vie sur Terre.
Pensez-vous que les arbres soient capables de s’adapter face au réchauffement climatique ?
Depuis des millénaires, les arbres ont résisté à la disparition des dinosaures, à l’effondrement de la biodiversité du Crétacé… Néanmoins ces changements étaient naturels. Le réchauffement climatique est soudain, rapide et lié à l’activité humaine. À ce jour, les scientifiques n’ont pas de réponse et parient sur les capacités des arbres à se réadapter car elles sont supérieures aux nôtres. Néanmoins, nous ne savons pas s’il leur sera possible d’absorber les excès d’émissions de carbone à venir.
Sans une position claire des scientifiques, que pensez-vous que l’on puisse faire ?
Nous devons planter des arbres tout en repensant notre mode de vie. Si l’on plante dans le seul but de laver nos consciences dans un monde qui vit bien au-delà de ses ressources, c’est peine perdue. Les arbres doivent être une piste pour commencer à repenser notre façon d’habiter la Terre. Il faut prendre conscience que nous formons un tout avec la nature. Nous devons être plus modestes face à elle.
En France, il y a beaucoup de manifestations citoyennes en faveur de la protection du climat. Qu’en pensez-vous ?
Je trouve les marches pour le climat importantes et je trouve formidable que la jeunesse se sente aussi concernée. Ma génération n’a pas assez porté d’intérêt à ces sujets-là. Nous n’étions pas vraiment attentifs, bien que dès les années 70, nous commencions déjà à parler du réchauffement climatique. Aujourd’hui, les jeunes nous en veulent pour notre insouciance et ils ont raison car notre prise de conscience a été tardive. Personnellement, j’ai compris tout cela il y a 20 ans et je serai sans doute morte quand les véritables catastrophes arriveront. Quoique tout s’accélère…
Vous avez le sentiment que le changement climatique s’accélèrent ?
C’est mon ressenti depuis le tournage du film. Il a duré deux ans et le script a sans cesse été réactualisé pour faire écho à ce qui était en train de passer. Par exemple, au mois d’août dernier, l’Amazonie et la Sibérie brûlaient. Tout cela a permis à une prise de conscience massive du rôle des arbres dans nos vies. Les signaux du réchauffement climatique étaient devenus évidents, visibles et perceptibles.
Par conséquent, pensez-vous qu’il faille interpeller la classe politique ?
Je suis pour les manifestations, pour interpeller les décideurs politiques qui aujourd’hui sont tétanisés à l’idée de changer. Il n’y a rien d’étonnant au fait que Greta Thunberg et les autres leaders de ces mouvements de contestation dérangent. Ces jeunes expriment la nécessité de changer notre mode de vie et de repenser notre futur. Or, personne n’aime le changement, ni même entendre avoir eu tort. Les gens se crispent sur le sujet car ils ont peur des réponses et des conséquences.
Qu’est ce qui les effraie le plus, selon vous ?
Les gens ont peur car ils pensent qu’on leur demande de changer radicalement leur mode de vie alors qu’on leur demande simplement de s’informer, de comprendre ce qu’il se passe et de changer petit à petit. On n’appelle pas la population à aller vivre dans des grottes.
Pensez-vous que nous soyons capables de dépasser cette peur ?
Il faudra la dépasser pour agir. Je comprends cette inquiétude car nous sommes en deuil du monde que nous avons connu jusqu’ici. Nous sommes en colère, nous ne voulons pas y croire, nous sommes immobilisés par l’angoisse. Mais nous apprendrons à vivre autrement, je crois beaucoup en la résilience humaine. Après tout ce que nous avons vécu, l’humain a la capacité de rebondir, de se reconstruire, de recréer un monde meilleur. Mais pour cela un changement rapide de mentalité est nécessaire.
Pensez-vous que ce film et d’autres productions engagées pourraient initier ce changement ?
Je l’espère ! Je voudrais que ce documentaire fasse la différence pour les téléspectateurs qui ne sont pas encore conscients des enjeux environnementaux. Je voudrais qu’il éveille et encourage aux changements.
Lesquels par exemple ?
J’aimerais qu’ils arrêtent de vouloir construire des maisons sans arbre, ni feuille, ni brin d’herbe au prétexte que « c’est sale ». J’aimerais qu’ils arrêtent « d’emmerder » leurs voisins parce que les feuilles de leurs arbres tombent dans leur cour et que ça les dérange. Je pense qu’ils comprendront grâce au film que l’arbre n’est pas un ennemi. Si ce documentaire pouvait toucher les gens qui jusqu’ici n’étaient pas impliqués, ce serait déjà un grand pas. L’avantage c’est l’engouement du public pour ces questions-là. Il faut maintenant espérer que cela fasse bouger les lignes.
Quelle est la meilleure manière de faire bouger ces lignes selon vous ?
Je crois qu’il est important d’être pédagogue et d’expliquer pourquoi ce qui est en train de se passer est grave. Cet été à la télévision, on a vu l’Amazonie brûler. C’était effrayant mais peu de gens ont compris pourquoi c’était un réel problème. Le film apporte des réponses et explique pourquoi tous les arbres sont importants pour le climat, pour le développement de la biodiversité et pour le cycle de l’eau. Ce film montre comment les arbres sont capables d’optimiser le peu de ressources qu’ils ont à leur disposition pour grandir, se développer, communiquer... Le film donne les clefs de compréhension des enjeux environnementaux, pousse à la réflexion et incitera, j’espère, les téléspectateurs à changer leur mode de pensée.
Vous êtes donc plutôt du côté de l’information que de la sanction ?
Oui, blâmer quelqu’un sans lui expliquer pourquoi ce qu’il fait n’est pas bien ne mène à rien. Il faut apporter des réponses, alerter tout en restant empathique et en semant de l’espoir. L’Amazonie est en train de brûler pour alimenter notre société capitaliste. En revanche, les feux en Sibérie sont une conséquence pure du réchauffement climatique. Cette forêt n’était pas exploitée. En soi, le feu fait partie du cycle de vie naturel des forêts, mais aujourd’hui, c’est l’excès d’incendie et de déforestation qui est inquiétant et qui menace tout un équilibre.
Qu’est-ce qui vous a particulièrement touché pendant le tournage ?
J’ai filmé un chercheur qui avait placé des électrodes dans un olivier. Il effleurait seulement les feuilles de cet arbre et déjà on voyait la courbe des électrodes s’agiter sur l’écran. C’était fou de voir que les arbres sentent notre présence. Cela change tout dans notre rapport à eux. On leur doit plus de respect. Ce sont des êtres vivants qui bougent constamment sans qu’on le voie.
Comment considérez-vous la nature aujourd’hui ?
Je la considère comme notre ancêtre et comme notre futur. C’est vertigineux à comprendre et ça nous pousse à réfléchir. Pourquoi est-ce que l’Homme a voulu soumettre la Nature ? Parce qu’elle nous est infiniment supérieure. Les arbres étaient là avant nous et nous survivrons. Ils ne meurent jamais vraiment, ils nous surpassent à de nombreux égards. Dominer la nature nous a été beaucoup plus facile que de la comprendre. Il est de notre devoir de l’écouter désormais.
Pour finir, comment et quand nos lecteurs français pourront voir ce film ?
Le film sera officiellement terminé en janvier 2020 pour France Télévisions, il devrait donc être diffusé dans les semaines qui suivront sur les chaînes du groupe.
Le documentaire Le génie des arbres d’Emmanuelle Nobécourt soulève 3 questions essentielles : Comment fonctionne un arbre ? Pourquoi en avons-nous besoin pour vivre ? Qu’advient-il de l’humain quand l’arbre disparaît ? Comme le souligne la réalisatrice, ces réponses sont nécessaires pour trouver la force d’agir et de changer les choses. Nous vous recommandons fortement de voir ce film qui promet d’être à la fois instructif, bouleversant et rempli d’espoir.